Séries Vision – La Bible pour inventer la Série de demain, de Neil Landau
Neil Landau, Séries Vision. La bible pour inventer la série de demain
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Enola Byrde
Editions Michel Lafon, 2023
528 pages — Prix standard : 25,95 €
En quelques mots, de quoi ça parle ?
De l’écriture de séries « modernes », c’est-à-dire adaptées au marché tel qu’il se présente de nos jours, à travers de nombreux conseils d’écriture d’une part, et à travers une vingtaine d’interviews de scénaristes de séries récentes d’autre part.
C’est pour qui ?
Plutôt pour les amateurs de séries apprentis scénaristes ou déjà dotés d’un petit bagage en écriture, quel que soit le domaine. Le titre original du livre, The TV Showrunner’s Roadmap : Creating Great Television in an On Demand World, est d’ailleurs bien plus parlant que le seul « Séries Vision » à peu près sorti de nulle part de la traduction française (par ailleurs tout à fait bonne) : l’auteur s’adresse à un public relativement restreint, qui se passionne pour ou pratique l’écriture de scénario. Pour autant, de nombreuses pages sont destinées à tous, et pas seulement aux professionnels ou aspirants professionnels, notamment dans certaines interviews.
C’est de qui ?
Neil Landau est scénariste, script doctor (c’est-à-dire consultant employé pour retravailler des scénarios) et enseigne l’écriture scénaristique à l’Université de Los Angeles et à l’Université de Géorgie. En France, il intervient dans le cadre de formations spécialisées dans un certain nombre d’écoles de cinéma, dont la Femis et le Cannes Storytelling Institute. Bref, quand il n’écrit pas de scénario, il lit des scénarios, et quand il ne lit ni n’écrit de scénarios, il parle de scénarios. Ce qui tombe bien.
OK, mais du coup, c’est vraiment bien ?
C’est vraiment très bien, pour peu qu’on sache où l’on met les pieds.
Et je mets les pieds où je veux, Little John…
Euh, ne prends quand même pas trop la confiance : je te rappelle que tu n’es qu’une facilité d’écriture et un interlocuteur fictif…
Soit…
Reprenons : du côté anglo-saxon de l’édition, le « manuel d’écriture » est presque un genre à part entière. Les écrivains publiant au moins un recueil de leurs conseils et de leurs mises en garde à destination des aspirants auteurs sont légion, et les professeurs d’écriture sont présents dans toutes les universités. Pendant ce temps, en France, les ouvrages traitant sérieusement de l’art d’écrire existent (La Dramaturgie d’Yves Lavandier ou Comment écrire de la fiction ? de Lionel Davoust, par exemple) mais restent peu nombreux et généralement traduits de l’américain, comme ici. Séries Vision, bien que son éditeur tente timidement de le faire passer pour un ouvrage grand public en changeant titre et sous-titre, fait bel et bien partie de ce genre. Si vous voulez simplement apprendre comment on fabrique une série, il y a probablement de meilleurs ouvrages pour débuter, comme l’excellent Séries Anatomy : Le 8e Art décrypté d’Alain Carrazé et Romain Nigita, bien plus pédagogique, ou Ecrire une série TV de Florent Favard, plus simple d’accès et tout aussi complet. En revanche, si vous avez déjà un tant soit peu mis la main à la pâte en matière d’écriture, que ce soit d’ailleurs de scénario ou de roman, Séries Vision va s’adresser à vous beaucoup plus directement et utilement.
Une petite moitié de ses 500 pages est en effet consacrée à un véritable cours d’écriture orienté séries, organisé en 14 chapitres oscillant, un peu en vrac, entre conseils pratiques propres au métier de scénariste audiovisuel (développer un concept et écrire un pilote ; gérer les obligations et les règles de la propriété intellectuelle, notamment en matière d’adaptation d’œuvres ou d’univers fictionnels préexistants, savoir préparer un pitch et savoir vendre son projet de série), et conseils d’écriture valables pour tous les auteurs de fiction (ce sont les chapitres les plus intéressants, mais qui couvrent des sujets souvent traités dans les « manuels d’écriture » : le worldbuilding ou plutôt la « création d’arène », comment dérouler de manière satisfaisante sa narration, comment trouver les bonnes idées aux bons endroits, dans le monde ou dans la narration elle-même, comment gérer les points de vue des personnages, maîtriser le sous-texte, parvenir à renouveler formules et structures tout en respectant les attentes des spectateurs, tirer parti du thème unificateur de l’œuvre, etc.). Au milieu de tout cela, quelques considérations plus personnelles sur des thématiques que Neil Landau juge fondamentales, comme l’empathie, la dynamique familiale et le rôle central de la perte dans toute fiction. Tout cela est très appétissant et souvent tout à fait passionnant, mais ressort de l’atelier d’écriture, dans le sens où un lecteur n’ayant aucun désir de passer lui-même à l’écriture n’en tirera probablement rien — sinon quelques analyses de séries par-ci par-là, destinées à illustrer le propos du cours et tout à fait profitables, comme celles de Succession ou de WandaVision, que l’auteur aime d’ailleurs tout particulièrement, et s’en explique.
L’autre moitié du livre est constituée d’une vingtaine d’entretiens, tous assez développés pour être bien plus qu’anecdotiques, avec des scénaristes, showrunners et producteurs de séries récentes. On y croise ainsi Noah Hawley (Fargo, Legion), Damon Lindelof (Watchmen), Jesse Armstrong (Succession), Sam Levinson (Euphoria), Robert et Michelle King (The Good Fight) ou encore Peter Gould (Better Call Saul). Tous ces entretiens ont un rapport direct avec les sujets des chapitres où ils figurent, mais, la dynamique du dialogue étant ce qu’elle est, ils ont tous un intérêt en eux-mêmes, pour peu qu’on s’intéresse aux séries en question. Une sorte de rasoir deux lames de l’interview bien menée, donc : la première lame parle aux théoriciens et aux praticiens de l’écriture de séries, la seconde lame parle à tous ceux qui s’intéressent aux séries et cherchent à les comprendre en profondeur.
Une des forces de Séries Vision, qui mérite d’être soulignée, est son corpus de séries emprunté aux productions les plus récentes, celles d’après l’épanouissement des nouveaux diffuseurs, donc sorties en pleine « peak TV », mais qui ont quand même (à deux trois exceptions et choix étonnants près) tiré leurs épingles du jeu. On ne va en tout cas pas se plaindre de lire des analyses de scénarios modernes, qui changent un peu des chefs-d’œuvre, certes incontournables mais tellement incontournés qu’ils commencent à faire un peu trop partie des meubles, façon Casablanca ou Le Parrain (coucou, John Trudy, moi aussi j’aime ces films mais j’aime aussi parler d’autre chose de temps en temps). Il est aussi très louable de prendre acte des évolutions de formats et d’attentes provoquées par les bouleversements récents des moyens de diffusions : on ne regarde plus une série sur Netflix comme on regardait une série sur la 5 dans les années 80 ; et figurez-vous qu’on ne l’écrit pas non plus de la même façon !
Paradoxalement, c’est de cette force que nait également, non pas un défaut, mais une faiblesse mineure du livre, qu’il faudra quand même garder à l’esprit. L’industrie des séries évolue vite, très vite, et encore plus de nos jours, avec la multiplication d’acteurs nouveaux aux stratégies souvent opaques. Lorsqu’il analyse cette industrie, Neil Landau le fait parfois avec des informations ou des opinions qui ont déjà « vieillies » : par exemple, il prend encore pour acquis que Netflix, en particulier, et les plateformes de streaming en général, vont forcément donner du temps à une série pour se développer, car elles pourraient se le permettre. Il s’agissait d’un élément de langage très en vogue dans les services marketing de ces plateformes, mais, avec le recul, on a depuis découvert qu’au contraire, l’annulation en fin de première saison est la règle plus que l’exception… Ces petits détails ne nuisent cependant pas à l’intelligence de son propos, notamment lorsqu’il analyse les nouvelles structures de scénarios issues des nouvelles pratiques de visionnages. On regrettera donc un sous-titre français un peu trop présomptueux : plutôt que « La bible pour inventer la série de demain », il faut lire « La bible pour comprendre la série d’aujourd’hui », voire « La bible pour décortiquer la série d’hier soir ».
Vraiment très précieux pour les apprentis scénaristes, Séries Vision a la bonne idée de mixer des conseils d’écriture universels et déjà bien documentés avec une mise à jour des connaissances sur les manières de faire des séries aujourd’hui. Le lecteur lambda pourra même y glaner des pages passionnantes sur la façon dont les scénaristes de ses séries préférées récentes travaillent, que ce soit à travers des analyses de l’auteur ou des entretiens. Mais il n’en reste pas moins que Séries Vision est avant tout un manuel d’écriture, qu’il faut approcher comme tel, avec les précautions d’usage, mais l’enthousiasme également.
Benjamin Fau, 12/04/2023