Découvrir Twin Peaks

par Antoine Bonnet

A l’occasion du décès de David Lynch, jeudi 16 janvier 2025, Antoine Bonnet raconte l’expérience que fut pour lui la découverte de la série Twin Peaks.

J’ai 13 ans. Sylvio Berlusconi est mon héros. Mis à part taper inlassablement dans une balle jaune, je passe des heures devant les séries de la chaine du magnat italien La Cinq. La Cinq, c’est K2000, Supercopter, Tonnerre Mécanique… Un après- midi, entre deux épisodes palpitants, on annonce un nouveau programme : Mystères à Twin Peaks. Féru d’enquêtes policières – on ne rate aucun Columbo avec ma sœur le mardi soir sur TF1 –, je note secrètement dans ma tête ce fameux lundi soir d’avril 1991. Par miracle, personne n’est devant le poste à la maison ce soir-là. Les planètes lynchéennes s’alignent déjà pour que je découvre ce show… qui changera ma vie, définitivement. J’y ai découvert la puissance stylistique audiovisuelle, la folie créatrice narrative, l’esthétique particulière d’un réalisateur, David Lynch, auteur de films aussi décalés que sulfureux. Avec Twin Peaks, il vient de révolutionner pour toujours l’art des séries.

Je voulais être cool comme Bobby, suis tombé dingue amoureux d’Audrey, fut passionné par l’intelligence de Cooper. Mark Frost m’a harponné ce jour-là, et tournait dans ma tête, durant les semaines qui suivirent, la question obsédante : « Mais qui a tué Laura Palmer ? ». Par chance, personne ne connait la série. Personne n’en parle. C’est un jardin secret dont je me délecte à crever d’attente. Pas de spoil, pas de YouTube, pas de réseaux sociaux… Les lundis deviennent cérémoniels, intenses, cultes. Je ne vais rater aucun épisode jusque l’été. Pourtant, début juillet, alors que le dénouement se rapproche, je dois partir en colonie de vacances et vais rater ce qui constitue le véritable sens de ma vie à l’époque. Je songe à fuguer. Arrivé dans un village paumé des Alpes, le lundi soir m’obsède. Comment faire ? Par hasard, un animateur me confie une même angoisse. Un espoir s’installe… Mais rien. Je rate et rate encore la suite de la série, comme une trahison.

A mon retour, le dilemme est terrible. Je décide de ne point suivre la suite de la série pour ne point la saborder. Ce jour-là, j’ai découvert la sagesse. Empêcher mes affects primaires pour accéder au Valhalla télévisuel. Sagesse que je ne retrouverais qu’à de rares occasions dans ma vie future mais que je garde précieusement dans mon ventre. Car oui, j’ai attendu. Plusieurs mois plus tard, les VHS sortent à l’hiver. Je fonce, dans le froid, à vélo pour louer les vidéos avec un stress terrible. Je suis le héros de ma propre série. Le loueur a un petit sourire complice. Je dévore la série entière. Mais ça y est, j’ai attendu.

Merci David. Merci de m’avoir fait découvrir que la télé pouvait être un art, qu’il existait des styles filmiques, des mondes, des autres mondes… Je vais plonger dans Blue Velvet, Elephant Man, Sailor et Lula, ronfler devant Dune, adorer Fire walk with me, lire les livres, m’abonner au magazine Wrapped in Plastic, projeter de faire le pélerinage à Snoqualmie, voir et revoir la série à chaque période de ma vie, étudier les arts plastiques, écrire des livres sur les séries, écrire dans Saison… Merci de m’avoir fait découvrir des sensations physiques et intellectuelles devant un vulgaire poste de télévision. Les forêts, la nuit, les animaux, le carrelage, la musique envoutante m’ont ouvert les rideaux rouges du cinéma, de la peinture, de l’art.

17/01/2025

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