Families Like Ours, l’autre submersion

par Antoine Bonnet

L’affiche de la série

Une série de Thomas Vinterberg, réalisateur danois du film culte Festen et de l’oscarisé Drunk, est un événement. Une série dystopique où le Danemark serait évacué à cause de la montée des eaux, est un événement majeur. Et la série ne déçoit pas. Elle débute par la décision de la première ministre danoise d’évacuer le pays à cause de la montée des océans. La famille recomposée de Laura, jeune lycéenne amoureuse d’Elias, doit fuir. Par la voie administrative organisée par le Danemark, tout d’abord, Fanny, la mère dépressive de Laura, se rend dans un foyer en Roumanie, Jacob, père de Laura et sa nouvelle femme Amali, se doivent se rendre, eux, chez son frère en France tandis que les jeunes fuient en bateau, à pied… Car ce qui s’apparentait à une série écologiste, dénonçant les ravages de notre système sur le climat, devient au fur et à mesure des épisodes, une étude minutieuse sur les migrations internationales.

Nommer

Vinterberg, en suivant les migrations de Laura, d’Elias, de Jacob ou Lukas, met des noms sur des images, des visages sur des chiffres, sur ces fantasmes politiques que sont les migrant.e.s. L’épisode 3 est très éloquent. La famille se disloque et est confrontée aux catastrophes typiques des migrants sur nos territoires. Fanny explique : « Je serai à Paris, sans rien, sans titre de séjour… ». Un déclassement social terrible pour cette journaliste. Laura sera serveuse, Amali, femme de chambre… Lukas, petit prodige colérique du foot, peut se rendre, lui, en Angleterre mais… « Maman ne va pas venir avec toi. Les autorités anglaises ne font plus de regroupement familial. » Le réalisateur évoque aussi des nombreux aspirants footballeurs africains qui débarquent en Europe et sont souvent délaissés dans nos rues, après avoir été rejetés par les grands clubs européens.  La série ne parle donc pas des migrants : elle parle de nous (ours) qui les accueillons mal et les rejetons.  Notre système détruit les solidarités, détruit l’empathie, détruit les sensibilités. Personne n’est, pourtant, à l’abri d’une catastrophe. La submersion est climatique et non, migratoire. Le vainqueur d’hier devient le paria d’aujourd’hui et c’est l’histoire qui nous le dit.

Migrations forcées

Le réalisateur pose d’emblée le constat qu’une migration est nécessairement forcée. La migration de travail d’hier, après la Seconde Guerre mondiale est- elle la même que celle actuelle, issue souvent de catastrophe : guerre, conflit, climat ? Ainsi, dans l’épisode 5, le jeune Elias traverse à pied la frontière et lance un « Adieu Danemark ! Je te kiffe ! ». Il ne prend pour seul souvenir qu’un traineau qui renvoie ironiquement, tout autant à un passé révolu où l’on pouvait encore skier, qu’au Rosebud d’Orson Welles dans Citizen Kane, où le traineau symbolise le paradis perdu de l’enfance du milliardaire Kane. Paradis perdu qui contraste avec les injonctions d’assimilation des pays hôte. Dans l’épisode 7, Amalie explique que « Les rêves d’avant sont bien loin maintenant. » La famille subit un déclassement traumatique. « Tu es toujours un brillant architecte ! », affirme-t-elle à Jacob. Les migrant.e.s sur nos territoires sont d’anciens journalistes, avocats, chefs d’entreprise qui ont fui leur pays dangereux. Car la famille danoise – qui n’a pas de nom pour mieux permettre l’identification –, qui migre, perd tout, mais au-delà de la perte matérielle (argent, maison, travail), elle perd sa dignité, ses liens familiaux, son identité. Cette saison se termine, ainsi, par un chant patriotique danois qui nous rappelle qu’on ne quitte jamais totalement sa terre natale. Une réponse subtile aux thuriféraires de « l’assimilation » des migrants qui pullulent sur nos plateaux télés.

                                               

Fanny (Paprika Steen), au centre, fuit le Danemark

Vinterberg décortique à travers cette famille les différents modes de migrations subies dans le monde et leurs acteurs : passeurs véreux, milices parallèles, policiers, douaniers, certificat de travail… Chacun des protagonistes se retrouve face aux problématiques spécifiques des migrants actuels. Qui peut encore croire qu’une personne soudanaise ou syrienne quitterait son pays, ses amis, ses voisins, sa famille, sa fille, son mari, son amoureux, ses parents… pour « profiter d’un système d’allocation favorable en Occident ? La migration est une souffrance et une mise en danger. Le jeune Elias, qui part rejoindre Laura à pied, est naïf et tombe dans un piège.

— Tu vas où ?, dit un homme. On va lui montrer qu’il n’a rien à faire ici !

Ils lui courent après :

— Laissez- le !, dit un autre homme

— Magnez- vous ! On va lui montrer. T’as rien à foutre là !

— Arrêtez !, hurle Elias sous les coups.

Il se fait tabasser par des anti-migrants et perd l’usage de ses jambes. Combien de situation dramatique ont vécu les migrant.e.s ? Combien de traumatismes subissent- ils ?

Lorsque vous n’avez plus de biens matériels, plus d’argent, il ne vous reste que des réseaux de relations. Ainsi, Jacob et Amalie se rendent en France dans un hôtel qu’elle fréquentait enfant. Le patron de l’hôtel accepte de la faire travailler secrètement.  « Amalie, on peut pas continuer comme ça. J’ai le comptable qui commence à poser les questions. Si tu as ton permis, tu viens ici après Noël. », explique- t-il pourtant à l’épisode 7. Faire travailler clandestinement est dangereux pour les hôtes. Le clandestin ressemble étrangement aux Juifs durant la Seconde Guerre mondiale et les hôtes à des « justes » contemporains. Le changement de perspective opéré par Vinterberg, qui place une famille danoise de la classe moyenne dans cette difficulté extrême est un pamphlet pour l’accueil empathique des migrants. Imaginez cette famille ayant une autre couleur de peau ! Car l’enjeu contemporain, et Vinterberg l’a bien compris, est de mettre des noms, des yeux, des narrations sur des chiffres de victimes de guerre, de victimes de catastrophes en Méditerranée… Nommer, identifier, suivre pour recréer un lien empathique disparus sous les gravas médiatiques qui balancent leurs nombres de morts, de victimes, de migrants, de « parias » comme on lance des grenades. Mais ses chiffres ne sont pas de bombes, ce sont des boomerangs que nous recevrons tôt ou tard en pleine figure. Donc oui, Families Like Ours est un outil nécessaire majeur à l’heure des « priorités nationales » et autres murs frontières. Il existe déjà des migrants climatiques qui arrivent par bateau sur nos côtes. Car le migrant, c’est l’humain qui survit aux catastrophes de la vie. Et demain, les migrants… ce seront des « familles comme nous ».


13/03/2025

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