Plateformes et contrôle de la culture

Compte-rendu de l’ouvrage d’Olivier Thuillas et Louis Wiart, Les plateformes à la conquête des industries culturelles, Presses universitaires de Grenoble, 2023, 170 p.

par Antoine Simard

L’âge influe sur la perception du monde, et si pour quiconque ayant connu la vie avant internet, l’évolution du numérique est une véritable révolution, bouleversant les modes de vies, de production ainsi que de consommation de la culture. Il existe, à rebours de cette évidence, ma génération, née après les années 2000, qui a accompagné toute sa vie la présence du numérique comme une norme dans nos environnements. Dans mon cas personnel, le premier iPhone est sorti au même moment que mes premiers pas à l’école, en maternelle…

L’ouvrage que nous évoquons ici, Les plateformes à la conquête des industries culturelles, apparaît, par conséquent, comme une excellente lecture. Apportant le recul nécessaire à quiconque n’ayant pas été, par l’expérience de la vie, un témoin privilégié de ces changements dans nos pratiques de vie. L’ouvrage, publié par Olivier Thuillas, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris Nanterre, spécialiste de l’étude des industries culturelles, politiques culturelles et plateformes numériques et Louis Wiart, professeur en communication à l’université libre de Bruxelles, spécialisant ses recherches sur l’analyse des plateformes culturelles au sein des filières culturelles, apparaît comme une suite logique à leurs nombreux travaux académiques sur les plateformes culturelles. Leur livre se penche sur un secteur bien particulier ayant été affecté par la révolution numérique, entamée à partir des années 1990, la culture. Leur ouvrage propose ainsi de revenir, à travers une analyse socio-économique (s’inscrivant dans la perspective de la recherche critique de l’économie politique de la communication) sur l’impact qu’a eu l’extension du numérique sur les différentes filières culturelles, médias, cinéma, livre, musique… L’étude est poussée sur les différents maillons de la chaîne faisant fonctionner ces filières. L’expansion du numérique ayant affecté les moyens de diffusion de la culture, les méthodes de production, les comportements des auteurs ainsi que ceux des consommateurs, poussant l’analyse jusqu’aux réactions des pouvoirs publics à ces évolutions.

Leur ouvrage met un accent particulier sur l’étude des plateformes culturelles et informationnelles, comme Google et Amazon. Les GAFA sont des entreprises appartenant à différentes catégories de plateformes informationnelles et culturelles (détaillées dans le livre). Cependant, elles font toutes partie de ce que les auteurs appellent un oligopole des grandes plateformes culturelles. Par ce terme, ils relèvent la situation de quasi-monopole dans laquelle se trouve une poignée d’entreprises, devenues toutes puissantes dans leur secteur. Les quelques entreprises formant cet oligopole disposant, par conséquent, du contrôle de l’offre disponible sur le marché face à une forte demande.

Ce contrôle n’est pas sans risque puisque comme le notent Olivier Thuillas et Louis Wiart, les algorithmes de ces plateformes ne sont pas neutres et cette hégémonie des plateformes numériques est accompagnée d’une tendance à l’invisibilisation des contenus culturels locaux et d’un phénomène de globalisation des contenus culturels mis en avant sur ces plateformes au profit de la langue anglaise. Les auteurs reprennent pour appuyer leur propos les travaux de Michèle Rioux, chercheuse en science politique à l’université du Québec à Montréal, qui avaient créé un indice de découvrabilité afin d’analyser la diversité des contenus mis en avant par les plateformes envers le consommateur. Ces travaux, effectués au Québec, avaient relevé que les contenus culturels locaux étaient invisibilisés, en raison de l’affaiblissement des liens entre les artistes et leur public, les plateformes jouant désormais un rôle d’intermédiaire. Les changements rapides et réguliers des modes de fonctionnement de ces plateformes empêchent l’adaptation des petites et moyennes entreprises culturelles, dont sont souvent issus les contenus culturels locaux.

Ces difficultés liées aux plateformes culturelles et informationnelles ne restent pas sans réponse des pouvoirs publics. L’ouvrage propose ainsi un tour d’horizon des leviers d’action et objectifs des politiques publiques à l’encontre des entreprises du numérique. Que ce soit au niveau national, en France, ou bien supranational avec des organisations comme l’Union Européenne. La bataille des pouvoirs publics vise à réguler l’espace numérique en le rendant plus soutenable, défendant une politique fiscale plus juste à l’encontre de ces entreprises. Ainsi, les pratiques d’optimisations fiscales font l’objet de condamnations, à l’instar d’Apple, condamné en 2016 par la Cour de justice de l’Union Européenne à payer une amende de 13 milliards d’euros à l’État irlandais pour ce motif. Les pouvoirs publics agissent également pour une rémunération des auteurs ainsi que la défense de valeurs et de droits tels que le droit des consommateurs, le droit d’auteur ou bien la neutralité d’internet. Dans cette trajectoire, l’Union Européenne a, en septembre 2018, adopté une directive protégeant les droits d’auteurs des éditeurs de presse, forçant les plateformes comme YouTube, Google ou Facebook à les rémunérer lorsque les contenus ou œuvres des artistes et ayants droit sont réutilisés en ligne. Les forces et faiblesses auxquelles les pouvoirs publics sont exposés face à ces géants du numérique sont, par conséquent, bien développées, de la lenteur de réaction de ces derniers face à un chamboulement des sociétés en l’espace de quelques décennies jusqu’aux perspectives de nouvelles régulations, démontrant leur capacité à s’emparer du sujet du numérique et de la culture en ligne.

Une ombre apparaît au tableau de l’analyse d’Olivier Thuillas et Louis Wiart, qu’ils relèvent eux-mêmes, en appelant à l’indulgence du lecteur. Cette fragilité relève du caractère mouvant et éphémère des tendances des plateformes du numérique. Ainsi, d’ici la fin de la décennie, la plupart des constats effectués vis-à-vis des plateformes culturelles et informationnelles seront dépassés, ces mêmes plateformes ayant d’ici là fortement évolué voire disparu. C’est ici une autre leçon majeure de cet ouvrage, qui est développée dans chacun de ses chapitres, l’environnement numérique, depuis son apparition, est caractérisé par une rapidité d’évolution spectaculaire et sans fin, à laquelle le secteur de la culture n’échappe pas. Cet élément restant comme incontournable pour la bonne compréhension de la conquête des industries culturelles par les plateformes.

L’ouvrage, Les plateformes à la conquête des industries culturelles, grâce à la finesse de son analyse, est une lecture recommandée à toutes les générations pour mieux comprendre le phénomène de révolution numérique dans le secteur de la culture. Par ailleurs, il s’adresse aussi bien au lecteur amateur désireux d’en apprendre plus sur les pratiques culturelles numériques, qu’au spécialiste de la question et de la lecture d’ouvrages académiques.

23/03/2025

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